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Péloponnèse, une tour dans le Magne

Sauvage, aride et longtemps inaccessible, le Magne est une péninsule située à l’extrême sud du Péloponnèse. Ses habitants fiers et belliqueux ont bâti des maisons forteresses coiffées de quelques 800 tours. Si à l’époque elles servaient à se protéger et à s’imposer aux clans adverses, aujourd’hui elles ont été transformées en beaux hôtels où histoire et paysages se conjuguent à merveille. Un road-trip à la découverte de cette région à la beauté singulière.

Péloponnèse, une tour dans le Magne
  • Photo : Laurent Fabre
  • Texte : Isabelle Zigliara
  • Publication : 27/11/2020
  • Mise à jour : 14/04/2024

Kardamyli, douce introduction au Magne !

La haute silhouette du Taygète, véritable colonne vertébrale traversant le Magne du Nord au Sud, domine Kardamyli. Point de départ de ce road-trip, c’est dans ce village que l’auteur et aventurier Patrick Leigh Fermor, posa ses valises à la fin des années 60. Érudit, fin connaisseur et amoureux de la Grèce, il y écrivit de nombreux ouvrages, dont « Mani », jouissives chroniques de ses voyages dans la région.
Avec son air cossu, ses jolies maisons de pierre et son petit port, il règne à Kardamyli une douceur de vivre qui contraste avec le reste de la péninsule. Torrents descendant de la montagne, roseaux, cyprès et oliviers, ici la nature est encore généreuse. Plus on s’avancera vers le Sud, plus les paysages seront arides voire parfois désolés. En attendant cette rencontre avec le Magne profond, la route offre une succession de vallons verdoyants et de petites plages.

Vue sur le port de Kardamyli
Taverne Lela à Kardamyli Église dans la citadelle fortifiée de Tripakis-Mourtzinos à Kardamyli
La plage de Kalamitsos, en contrebas de la maison de Patrick Leigh Fermor
La plage de Kalamitsos à Kardamyli

Les deux visages d'Itylo

Après plusieurs dizaines de kilomètres d’une route tortueuse, les paysages se font plus secs à l’approche d’Itylo. Beau village aux maisons restaurées, il respire le calme et la tranquillité. Cependant, ses maisons fortifiées, ses ruelles labyrinthiques et l’imposante forteresse dont les ruines font face au village, racontent une autre histoire. Celle d’un village puissant, ancienne capitale du Magne, où les violences constantes eurent raison des habitants. Itylo se vida de ses 1700 âmes à la fin du 18e siècle.

La présence de la forteresse de Kefala, qui servait de base aux incursions ottomanes dans le Magne, n’était pas la seule source d’insécurité. Une vendetta opposant les deux principales familles d’Itylo, les Iatrini et les Stephanopoli, donna lieu à des affrontements sanglants. Les deux clans, voyant leurs différents sans issue, et la menace ottomane toujours plus pressante, décidèrent de partir. Les premiers choisirent la Toscane, à cause d’une parenté supposée avec les Médicis, et y périrent décimés par les maladies. Les seconds, près de 800 personnes, alliés des Génois, posèrent le pied en Corse en 1676 et s’installèrent dans les villages de Paomnia, de Revinda et de Sagone. Quelques années plus tard, ils fondèrent Carghèse. Aujourd'hui, les descendants des Stephanopoli d’Itylo parlent encore le grec et cultivent toujours le souvenir de leurs racines.

Yiayia à Itylo Ruelles du village d'Itylo
Kaféneio sur la place du village d'Itylo Maison dans le village d'Itylo
Monastère de Dekoulos, Itylo
Construit dans une maison fortifiée d’Itylo, le Korona Boutique Hotel allie beauté et austérité.
Hôtel Korona, Itylo
Vue de la baie de Limeni
Le port de Limeni est la dernière halte avant d'entrer dans le Magne profond
Port, Limeni

Aréopoli, la porte du Magne profond

Ville principale du Magne, Aréopoli se découvre à pied, au-delà de sa grande place moderne et sans charme. Si l’on se promène dans ses petites ruelles écrasées de soleil, on découvre la beauté de celle qu’on surnomme « la porte du Magne ». Car pour les Maniotes, c’est bien ici que commence le Magne profond.
Aéropolis, signifie ville d’Arès, dieu de la guerre. L’ancienne Tsimova a été ainsi rebaptisée en hommage au héros Petros Mavromixalis. Ce dernier, après avoir hissé son drapeau, partit d’Aréopoli le 17 mars 1821 à la tête de trois cents Maniotes. Accompagnés d’un autre héros, Théodoros Kolokotronis, et de ses klephtes de Morée, ils prirent la ville de Kalamata alors aux mains des Turcs, marquant ainsi le début de la Guerre d’Indépendance.

Kaféneio, Aeropoli
Nighthawks à Aréopoli
Taverne Barba Petros à Aeropoli
Ruelles de la ville d'Aeropoli Boulangerie à Aeropoli
L'hôtel Antarès situé dans une maison-tour datant de 1750
L'hôtel Antarès, Aeropoli
Campagne avec vue sur la mer à Aeropoli Ânes dans un champs près de l'hôtel Antarès

Aréopoli, la porte du Magne profond

Le Magne profond se dévoile. Si la nature reste très belle, elle se fait plus austère kilomètre après kilomètre. Peu à peu la campagne se hérisse de tours et plusieurs hameaux construits sur les hauteurs se détachent du paysage. Parmi eux, deux se distinguent : Koita et Vatheia.
Sorte d’aristocratie militaire et terrienne maniote, les Nykliens seraient originaires du village de Nykli (aujourd’hui Tripoli) en Arcadie. Suite au sac de la ville, au 13e siècle, les habitants prirent le chemin du Magne profond. Lorsqu’il commença à se peupler, les habitants se disputèrent le moindre lopin de terre et on appela Nykliens, les premiers arrivés. Dès lors, les Nykliens érigèrent de hautes tours et des toits de pierre pour asseoir leur pouvoir et se défendre. Il y en eu jusqu’à 800 dans la région.

Hôtel Citta del Nicliani, Koita
Citta del Nicliani est une magnifique maison d’hôtes au cœur de tours nikliennes.
Hôtel Citta del Nicliani, Koita
Vatheia

Péninsule de Tigani

Non loin de Koita, Tigani est un isthme rocheux à la forme d’un manche de poêle à frire, d’où son nom en grec. Tigani abriterait les ruines du château du grand Magne, édifié par Guillaume II de Villehardouin, quatrième prince franc de Morée, en 1248. On y récolte du sel et de la criste marine.

Péninsule de Tigani
Chapelle Panagia Odigitria, Péninsule de Tigani

Gerolimenas, une fenêtre sur le monde

L’arrivée à Gérolimenas est marquée par la majestueuse silhouette du Capo Grosso, qui à lui seul sculpte le paysage.
Avec Port Kayo, plus au sud, Gérolimenas fût l’un des seuls bons ports du Magne. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, isolés depuis toujours par les hautes montagnes du Taygète, le Magne s’ouvrit au commerce avec le reste du monde, exportant jusqu’à Marseille des millions de cailles vivantes !

Baie de Gerolimenas
Le Cap Grosso à Gerolimenas
Cap Grosso, Baie de Gerolimenas

Cap Ténare, l’entrée des enfers

Les Anciens font du Cap Ténare l’une des portes des enfers. Le Magne entretient un rapport puissant avec la mort, quasi-obsessionnel, écrira Patrick Leigh Fermor. Cette mise en exergue de la mort s’exprime dans les miroloyia. Ces chants funèbres improvisés par les femmes puisent leurs sources jusque dans la littérature grecque de l’Antiquité. Nombreuses sont les similitudes entre les miroloyia d’aujourd’hui et les lamentations d’Andromaque sur le corps de son bien-aimé Hector dans l’Iliade.

Le voyage s’achève ainsi à l’extrême sud de la péninsule. Là, un phare, vigie plantée dans les rochers, marque le bout de la terre.

Cap Ténare, Hôtel Tainaron Blue
Le Tainaron Blue, point de vue exceptionnel pour cet hôtel-tour magnifiquement restauré
Cap Ténare, Hôtel Tainaron Blue
Âne sur le chemin de la plage de Vathy
Plage de Vathy
Quand Dieu eu fini de créer le monde, il lui restait un sac de pierres et c’est ici qu’il l’a vidé
Mani, Patrick Leigh Fermor
Phare, Cap Ténare

Notre guide du Magne