Le Péloponnèse revisité : l'Élide et la Messénie
À l’ouest du Péloponnèse, l’Élide et la Messénie sont deux régions qui conjuguent avec modestie beautés naturelles et sites archéologiques de premier plan. Hors des sentiers battus, quel enchantement de s’enfoncer dans les terres et prendre le temps de découvrir.
L’Élide, au-delà d’Olympie
Après un long voyage de près de 20 heures depuis le port italien d’Ancône, les côtes grecques sont enfin en vue. Les paupières lourdes après une nuit ballottés sur une mer Adriatique agitée, on se souvient de notre excitation d’alors. Sur le pont à la belle étoile, la mer était tout aussi mauvaise, mais peu importe nous allions enfin découvrir la Grèce ! Après un rapide coup d’œil au port de Patras et un petit détour pour admirer le profil altier du pont de Rio-Antirio construit à l’occasion des Jeux olympiques de 2004, cap au sud pour cette première étape en Élide.
Olympie, berceau des jeux
Une heure et demie de route plus tard, nous foulons la terre sacrée d’Olympie. Il émane de ce sanctuaire une atmosphère toute particulière, comme si les pierres avaient gardé la mémoire des cultes célébrés depuis l’époque mycénienne. Dédié à Zeus, le sanctuaire est niché au pied du mont Cronion, dans une plaine bordée par l’Alphée qui fut plantée d’oliviers, de chênes et de platanes.
Plusieurs légendes se disputent la fondation du sanctuaire et des jeux. Selon le poète Pindare, après avoir détourné le cours de l’Alphée pour nettoyer les écuries d’Augias, Héraclès affronte le roi d’Élis qui remet en cause la validité du cinquième des douze travaux qui incombent au héros. Pour remercier Zeus son père de cette victoire, le héros trace sur le sol les contours d’un sanctuaire à sa gloire et y organise les premiers jeux. Olympie deviendra alors un des sanctuaires les plus importants de Grèce et abritera en son sein une des sept merveilles du monde, la statue chryséléphantine du maître de l’Olympe haute de 15 mètres.
Les années ont passé, mais l’émotion reste intacte à la vue du temple de Zeus avec ses colonnes massives tombées à terre lors d’un séisme. Il en est de même pour le temple d’Héra, le plus ancien du sanctuaire, dans les décombres duquel fut découverte la sublime réplique antique de l’Hermès de Praxitèle taillée dans le marbre cristallin de Paros. En contemplant le stade, on imagine admiratif devant tant de continuité, ces milliers d'athlètes venus de toutes les cités grecques se réunir ici tous les quatre ans pendant près de 1200 ans…
La forêt de Foloï et les gorges de l’Érymanthe, les secrets de l’Élide
Dans le Péloponnèse, mythes et paysages vivent en symbiose se nourrissant les uns des autres. La forêt de Foloï, mystérieuse avec ses chênes qui s’étendent à perte de vue est associée au mythe des Centaures et doit son nom au funeste destin de l’un d’entre eux.
À la recherche du terrible sanglier d’Érymanthe qu’il chasse pour le compte de son cousin Eurysthée, roi d’Argolide et commanditaire des travaux, Héraclès rencontre dans la forêt le centaure Folos. Ce dernier lui offre l’hospitalité et du vin, mais le parfum entêtant du breuvage donné par Dionysos ne tarde pas à attirer les autres centaures qui, sauvages et belliqueux, s’attaquent à Héraclès. Lors du combat, Folos resté à l’écart se blesse mortellement avec une flèche empoisonnée par le sang de l’Hydre de Lerne appartenant à Héraclès. Dévasté, le fils de Zeus lui organisera de somptueuses funérailles et l’enterrera dans la forêt au pied d’un mont qu’il baptisa de son nom.
En arpentant cette forêt sur les traces d’Héraclès et du sanglier, on atteint bientôt les gorges de l’Érymanthe, cet affluent de l’Alphée parsemé de chutes aussi spectaculaires et enchanteresses que méconnues. Parmi celles-ci, la plus impressionnante, celle de Nemoutas est joliment surnommée « la porte du paradis » tandis que celles de Soufalas, qui se découvrent presque par hasard en longeant le lit de la rivière semble être peuplée de néréides.
Dexamènes, le passé sublimé
Quittons forêts et mythes antiques pour ce qui est pompeusement appelé la « Riviera de l’Élide ». Sur cette côte un peu défraîchie, c’est une histoire plus contemporaine que nous conte Dexamenes (citernes en grec), un des hôtels design les plus surprenants de Grèce.
Ouvert en 2019 en bord de mer, Dexamenes occupe un ancien chai industriel datant du début du XXe s. Complètement repensé par les architectes de K-Studio et par son propriétaire Nikos Karaflos, le lieu a réussi à garder vivante la mémoire des bâtiments tout en en sublimant l’héritage.
Dans les années 1830, au sortir de la guerre d’Indépendance, l’ouest du Péloponnèse se consacre quasi-exclusivement à l’exportation du raisin noir de Corinthe destiné à la production de vin en Europe. La demande atteindra son apogée en 1879 lorsque les vignes françaises furent décimées par le phylloxéra. Mais dix ans plus tard, les pieds de vignes français devenus matures donnèrent suffisamment. La demande en raisin chuta et avec elle toute l’économie locale. Le gouvernement se lance alors dans une politique de grand travaux et décida que le Péloponnèse produirait son propre vin pour sauver la filière. En 1920, un immense chai - qui deviendra Dexamenes - sort de terre. Dans ses deux immenses cuves rouge écarlate le raisin venu de toute la région était pressé avant de rejoindre les citernes de béton pour fermenter. Ces dernières magistralement transformées en 35 suites ont gardé sur leurs murs la patine donnée par les tanins du vin. Le vin de Kourota - de piètre qualité - servit pendant des décennies à augmenter le taux d’alcool des vins français avant que la demande se tarisse et que le chai ferme définitivement dans les années 80. Quelques années plus tard, la famille de Nikos Karaflos achètera ce lieu désaffecté et lui donnera une seconde vie.
La Messénie, une destination méconnue
Messène la confidentielle
On poursuit le voyage vers le sud pour redécouvrir la Messénie, seconde étape de notre voyage dans le Péloponnèse, une région agricole qui a toujours été à l’écart des circuits touristiques. De l’antique Messène nous avions en mémoire la beauté des paysages environnant et la silhouette massive du mont Ithomé visible de toute la région. On avait bien visité le petit musée et le site archéologique, mais ce dernier était si désert qu’on avait pu y planter la tente à l’ombre d’un grenadier qui au petit matin nous avait régalé de ses fruits juteux. En y retournant quelle fut notre surprise ! Quel émerveillement ! Le théâtre, le sanctuaire d’Asclépios, la fontaine d’Arsinoé, la basilique, le mausolée, l’immense stade bordé de colonnades… Autant de merveilles sorties de terre pour témoigner de l’histoire grandiose de cette ville qui fut habitée jusqu’au début du XVe.
Lorsque le général Thébain Épaminondas fonde Messine en 369 av. J.-C., il met fin à quatre siècles de domination de Sparte en Messénie. Il rappelle les élites qui avaient fui et libère le peuple tombé en esclavage. L’imposante muraille et ses portes monumentales, avec notamment l’impressionnante porte d’Arcadie, montrent l’importance de la cité et de la région. C’est en effet grâce aux plaines fertiles de Messénie que Sparte pouvait survivre. La fondation de la ville à l’époque classique marquera donc la fin de l’hégémonie spartiate dans le Péloponnèse. Si le site archéologique ne tomba jamais dans l’oubli, comme le montre la vingtaine de témoignages d’écrivains voyageurs qui l’ont arpentée entre 1447 et 1829, date de l’expédition de Morée et des premières fouilles scientifiques, Messène n’a jamais fait partie des étapes obligées du Grand Tour, à l’inverse d’Olympie ou d’Épidaure. Mais le travail de l’archéologue Petros Themelis et de ses prédécesseurs porte enfin ses fruits, puisqu’aujourd’hui Messène est un des sites les plus importants de Grèce.
Koroni et Méthoni, les yeux de la Sérénissime
En route pour Koroni et Méthoni, c’est par chance que nous tombons sur les chutes Polylimnio, acmé d’une jolie balade dans les sous-bois féériques de la Messénie. Bientôt la citadelle de Koroni est en vue. À l’extrémité du doigt le plus occidental du Péloponnèse, avec Méthoni, ce sont deux péninsules coiffée chacune d’un fort vénitien. Longtemps appelées « les yeux de la Sérénissime », elles avaient pour fonction de contrôler le passage de la mer Ionienne à la mer Égée et d’assurer aux Vénitiens une halte sûre sur la route de Jérusalem. Controlées par la République jusqu’au XVIe siècle puis par les Ottomans, elles furent constamment l’objet de convoitise.
Aujourd’hui les deux villages ont retrouvé leur calme, les Vénitiens et les Ottomans ayant laissé leur place aux touristes en quête d’histoire. Si la Méthoni moderne s’est construit hors des murs de la citadelle, à Koroni le village semble monter à l’assaut du fort où quelques familles et quelques nonnes continuent d’occuper les lieux. En contrebas, le petit port bien que touristique semble n’avoir pas changé depuis notre précédent voyage à la différence de la plage de Foinikounta qui s’est beaucoup développée.
W Costa Navarino, l’héritage de Captain Vassilis
Dans la baie de Pylos, un homme a compris avant tout le monde le potentiel touristique de la Messénie. Captain Vassilis comme on l’appelle ici, Vassilis Constantakopoulos pour l’état-civil, est né dans les années 1930. Sa légende raconte que d’origine modeste, à force de travail, il est devenu armateur puis propriétaire de la plus grande compagnie privée de transport de marchandises au monde.
De retour en Messénie au crépuscule de sa vie, il a souhaité faire connaître cette région si chère à son cœur et lui apporter dynamisme et emplois. Ainsi est né Costa Navarino, un projet hôtelier sans commune mesure en Grèce. D’immenses resorts alliant luxe, développement durable et dotés de superbes golfs à faire pâlir d’envie la Floride. Aujourd’hui Captain Vassilis n’est plus, mais l’aventure de ce visionnaire continue. Le dernier-né des Costa Navarino, le W, a ouvert ses portes cette année et l’an prochain, c’est un Mandarin Oriental qui verra le jour sur la baie de Navarin, théâtre d’une bataille navale décisive dans le combat pour l’indépendance grecque. Les pieds dans l’eau, dédié à une clientèle jeune et festive, le W réinterprète le langage architectural local tout en lui insufflant style et modernité.
À deux pas du W se cache Voïdokilia, une des plages les plus photographiées de Grèce grâce à sa forme en oméga si particulière. Assis sur le sable blond aux jolis reflets roses enchantés devant tant de beauté, on attend le coucher de soleil avant de reprendre la route et de poursuivre notre voyage.