Le marbre à Naxos
D'une blancheur cristalline, parfois traversé de grandes veines noires, le marbre de Naxos est un trésor. Exploité depuis l'Antiquité, c'est une matière exceptionnelle qui sait être brute et imposante, mais aussi fine et sensuelle.
Le silence est aussi plein de sagesse et d’esprit en puissance que le marbre non taillé est riche de sculptureAldous Huxle dans Contrepoint
Le sol de Naxos est formé pour moitié de marbre.
Dans le prolongement des chaînes de l'Attique et de l'Eubée, Naxos est la plus grande et la plus haute île (1004 m) de l’archipel égéen des Cyclades. Comme sa voisine et rivale Paros, dès l’époque proto-cycladique, elle exploite et sculpte cette roche à qui elle doit en partie sa prospérité. Si le marbre de Paros surclassait celui de Naxos par sa finesse et sa pureté, ce dernier bénéficiait de gisements plus importants. Très résistant, épais, cristallin et peu sensible à la corrosion, le marbre de Naxos appelé naxos crystallina est une pierre beaucoup utilisée en architecture et en sculpture. La présence de grandes quantités d’émeri entre les strates du marbre donna à l'île une autre source de richesse et de pouvoir. Une fois réduite en poudre, elle est utilisée polir et révéler la finesse du marbre.
Au centre de l'île, une route mène à Kinidaros. Dans ce village de montagne, tous les hommes travaillent dans les carrières de marbre environnantes. Yannis Karpontinis est un de ceux-là, un homme de force et un homme de coeur. Il a repris, suite à une longue bataille juridique, les carrières qui appartenaient à son grand-père. Ce dernier, ne sachant ni lire, ni écrire, les avait perdues au profit d’une grande entreprise peu scrupuleuse. Aujourd’hui, Yiannis exploite avec ses deux frères ces cathédrales de pierre éphémères. La carrière étant en perpétuel mouvement, les paysages apparaissent et disparaissent au gré des engins. Au milieu de la poussière, c’est un balai de pelleteuses, de camions, de perceuses, de scies à eau.
La majesté graphique des veines de marbre et des traces de coupes.
À Kinidaros, les plaques tectoniques européennes et africaines qui convergent au large de la Crète font un pli, ce qui explique que, dans cette carrière à ciel ouvert, les veines du marbre soient presque verticales.
En écoutant et en regardant travailler cet homme de passion, on ressent tout l’attachement qu’il a pour ces montagnes. Ici, la pierre, pour qui sait la regarder est unique, certains blocs sont parfois d’une blancheur et d’une pureté si exceptionnelle qu’il sont gardés, protégés. « Ces pierres-là, on ne veut pas les vendre, on les garde en cas de coup dur, parfois on les montre, parfois on les enterre tellement elles sont précieuses ».
Marbre en grec signifie pierre resplendissante.
Le marbre de Yiannis sert à la construction, à la fabrication de dallage ou autres objets du quotidien, mais il est aussi utilisé par des artisans d’art et artistes. Ainsi, Yiannis dessine et produit en petite série des lampes en marbre qui jouent avec la densité et les veines de cette roche, en en révélant toute la transparence.
Le marbre de Naxos est aussi la matière première de l’artiste allemand Ingbert Brunk. Installé à Naxos depuis plus de trente ans, il a toujours su qu’il voulait travailler cette roche. C’est une matière vivante pour lui.Le marbre a une présence particulière par son côté cristallin et sa transparence. « L’idée première est la recherche de formes pour que la matière s’exprime et me laisse ainsi jouer avec sa constitution, sa structure, sa transparence ». Les oeuvres d’Ingbert Brunk ont quelque chose d’hypnotique, par leur formes primaires elles invitent l’esprit à contempler la matière qui paraît infinie. Le traitement qu’il donne au marbre caractérise aussi son travail. Il confère à ses oeuvres une douceur extrême qui donne envie de les caresser.
Une tradition, une richesse, un héritage...
Nombreuses sont les pièces maîtresses de l'art grec faites en marbre de Naxos : des icônes cycladiques (2800-2300 av. JC), le Sphinx de Delphes (570 av. JC), la maison de Naxos à Délos ou encore deux korres de l’Acropole d’Athènes (550 av. JC). Sur l'île, dans la vallée de la Tragéa, le temple de Déméter (VIe s. avant JC), tout de marbre blanc, est un bijou d’architecture dédié à la déesse de l’agriculture et des moissons. Autres vestiges des temps passés, dans un vallon verdoyant à côté de Melanes, gisent deux kouroï de marbre gris (VIIe s. avant JC). Endormis depuis plus de deux millénaires, ils témoignent en silence de la riche histoire du marbre de Naxos.