Égine à la lumière de ses artistes
À une heure d’Athènes, l’île d’Égine est largement méconnue. Qui se souvient que dans les années 60, elle fut le repaire de l’intelligentsia athénienne à l’instar d’Hydra pour la jet-set ou de Spetsès pour les armateurs ? Paisible et vivante toute l’année, l’île aux pistachiers commence à faire parler d’elle.
Lumière !
Depuis quelques miles déjà l’île s’annonce, l’air iodé de la mer se charge du parfum de la garrigue, un parfum d’été, d’herbes sèches et de fenouil. À la descente du ferry, le dépaysement est total, les maisons néoclassiques bordent le port et font face à de petits caïques colorés. En prenant la route qui longe la côte en direction du nord, on dépasse la plage d’Avra, ses quelques transats et son mini chantier naval ; puis celle de Kolona bordée de murs antiques et du site archéologique éponyme où triomphe une colonne unique, majestueux vestige du temple dédié à Apollon. Après un petit kilomètre et quelques champs de pistachiers, on arrive à Plakakia. Avec ses maisons patriciennes, le quartier est indissociable de l’âge d’or d’Égine. Au pied du phare et de sa petite église en bleu et blanc, les papous et les yiayias du quartier se baignent au petit matin, tandis qu’en fin d’après-midi ce sont les promeneurs qui profitent de cette vue magnifique sur le Péloponnèse et Épidaure. Tous profitent de la lumière d’Égine si particulière, aussi pure qu’intense, elle a attiré de nombreux artistes.
La bande d’Égine
Par ce beau samedi de juillet, une petite foule se masse au 39 de la rue Kazanzaki, la lumière commence déjà à tomber et les pierres de la belle demeure rougeoient. On y célèbre l’œuvre du peintre Nikos Nikolaou (1909-1986) un artiste reconnu qui a fait sienne l’île dans les années 60. Dans son atelier que l’on inaugure, restauré par son neveu l’architecte Théodore Zoumboulakis avec la complicité de sa sœur la galerist Daphné Zoumboulakis, rien ne semble avoir bougé. Ni ses couleurs et ses pigments, ni sa collection de pierres peintes, ni ses magnifiques portraits féminins aux couleurs brutes et intenses qui célèbrent à la fois la grécité et la grâce féminine. Encore un peu et l’on s’attendrait à voir arriver le peintre avec ses amis de la « bande d’Égine ». Surnommée ainsi par le neveu du sculpteur Christos Kapralos (1909-1993) elle se composait de Nikolaou, de Kapralos et de Yiannis Moralis (1916- 2009). Tous trois appartenaient au courant artistique grec de la « Génération des années 30 » qui questionnait le rapport de la Grèce à la modernité. Inséparables, ils se retrouvaient tous les soirs dans la maison de Nikolaou pour refaire le monde.
Kapralos fut le premier des trois à s’installer sur l’île. Après sa mort, sa maison-atelier fut transformée en un musée dépendant de la Galerie nationale d’Athènes. On peut ainsi apprécier in situ ses œuvres monumentales. Nikolaou, natif d’Hydra, fut le second à s’installer à Égine au début des années 60. Quand à Moralis - le plus connu des trois - en 1975, il se fit construire une maison par le célèbre Aris Konstantinidis, chantre du modernisme en Grèce. À une rue de son grand ami, il créa une grande partie de son œuvre consacrée à Eros et Thanatos.
Il y a quelques années, Théodore Zoumboulakis a restauré et redonné vie à la maison de son oncle pour qu’elle redevienne un lieu de rencontre. En bord de mer et entourés d’un beau jardin méditerranéen, 6 studios à la décoration sobre et inspirée par l’œuvre de l’artiste accueillent tout au long de l’année une clientèle d’esthètes venant de tous horizons. Par les chaudes soirées d’été, parfois la magie opère. Un verre de vin à la main, assis sur le muret face à la mer les hôtes refont le monde en regardant la statue de Moralis. Offerte par les Zoumboulakis à l’île et installée face à la maison, elle symbolise le dialogue interrompu entre les deux amis et artistes.