Cythère, le goût d'une île
Au carrefour de plusieurs routes maritimes reliant l’est et l’ouest de la Méditerranée Cythère a toujours été convoitée par les grandes puissances. Mais la terre pauvre de cette île couverte de collines et de falaises abruptes n’a pas toujours suffi à nourrir sa population. Pendant que les Français transportés d’amour « embarquaient pour Cythère », les habitants de l’île embarquaient pour l’Amérique ou l’Australie en quête d’une vie meilleure. Ainsi, entre le XIXe et le XXe siècle, trois vagues d’exil ont largement dépeuplé cette belle île. Aujourd’hui, nombreux sont les enfants de Cythère à revenir sur leur terre.
Paximadia et huile d’olive
Karavas est un joli village du nord de l’île, où coule une source qui irrigue de nombreux petits vergers. C’est dans ce village, dont est originaire sa famille, que le jeune entrepreneur Pavlos Koronaio a installé sa boulangerie. D’ici, partent chaque jour plusieurs camions remplis de palettes de paximadia. Il faut passer un peu de temps en Grèce pour comprendre l’engouement des Grecs pour ce petit croûton qui accompagne le café du matin, sert d’encas à midi et, agrémenté d’huile d’olive et d’origan, fait office d’apéro le soir.
L’histoire de la famille de Pavlos est à l’image de celle de nombreux habitants de Cythère. En 1900, poussé par la pauvreté, le grand-père alors âgé de 10 ans, part seul pour l’Australie, eldorado lointain, et ne reviendra dans son village que 20 ans plus tard. Il ouvrira un moulin afin d’exploiter l’olive, une des principales ressources de l’île. Le moulin du grand-père fermera définitivement en 1964, après que son fils soit, à son tour, parti en Australie. Lorsqu'avec sa femme, il reviendra en Grèce, ils préféreront s’installer à Athènes. Pavlos, comme d’autres trentenaires, a voulu retourner aux sources et entreprendre sur son île. C’est ainsi qu’il a ouvert récemment dans l’ancien moulin à huile de son grand-père, une boulangerie qui depuis exporte dans toute la Grèce les petits croutons de Cythère.
L’histoire de la famille d’Harry Tzortzopoulos ressemble à celle de Pavlos, lui aussi a fait son retour à Cythère. Après des études d’agriculture, cet homme passionné a repris les terres de sa famille également partie en Australie, et fabrique aujourd’hui une huile d’olive haut de gamme. Non content de ce premier succès, il développe toute une gamme d’huile et accompagne la coopérative agricole de Potamos. Très engagé dans la promotion de l’agriculture biologique, il s’est associé avec d’autres petits producteurs grecs pour mieux représenter et distribuer leur production.
Le miel à Cythère
Avec son parfum doux et chaud et sa belle couleur d’or, le miel de Cythère est réputé dans toute la Grèce. Ce qui le rend unique, selon Zafiria Trivizas, jeune apicultrice qui partage son temps entre Athènes et ses 80 ruches installées sur les terres de sa grand-mère, c’est la flore de l’île qui est d’une richesse inouïe. Une garrigue riche en essences et surtout un thym de qualité. Le miel de thym est de loin le plus apprécié en Grèce, mais aussi à l’autre bout du monde. Les Australiens issus de la diaspora ont pour habitude, lorsque la nostalgie de Cythère les prend, de boire une tisane de sauge parfumée au miel de thym. Ainsi, disent-ils, leurs souvenirs prennent vie sur leurs papilles.
Cythère a une longue tradition avec le miel. Yiannis Protopsaltis, apiculteur depuis 35 ans dans le village de Mitata, raconte que dès le 4e siècle avant J.-C., le philosophe Héraclide le Pontique en faisait mention. Bien plus récemment, les Anglais qui administraient l’île au XIXe siècle, en étaient friands et l’importaient chez eux.
Au-delà du thym et de la sauge Cythère est riche en aromates. Les câpres et la criste marine sont également ramassés et mis en saumure, pour agrémenter les salades, les viandes ou les poissons. Christophoros, ancien policier venu s’installer sur l’île de sa femme, les ramasse et les prépare au printemps. Il les vendra l’été aux touristes dans sa petite échoppe d’Avlemonas.
La fleur de sel
Si la légende dit que l’écume de mer a vu naître Aphrodite à Cythère, elle est aussi à l'origine d'un autre présent : la fleur de sel, en grec littéralement « mousse de sel ». Durant les mois d’été, Giorgos qui est revenu sur l’île pour sa retraite, quitte à l’aube l’adorable petit port de pêche d’Avlemonas à bord de sa barque équipée d’un moteur anglais antédiluvien qui fait un bruit d’enfer, mais qui ne tombe jamais en panne. Après quelques minutes de cabotage, il jette l’ancre sur une côte accessible uniquement en bateau. Ils sont quelques-uns à ramasser la fleur de sel sur ces parcelles de roche déchiquetée. Régulièrement, il faut verser quelques louches d’eau de mer dans les anfractuosités, puis attendre qu’elle s’évapore et offre au soleil brûlant son précieux dépôt cristallisé. D’un blanc immaculé et au goût incomparable, la fleur de sel de Cythère est un must.
Dans l’Antiquité, l’île s’appelait Porphyroussa, car on y pêchait le murex, un coquillage dont les Phéniciens extrayaient la pourpre très recherchée. Aujourd’hui, cette activité s’est éteinte, mais la pêche traditionnelle continue. À Avlemonas, deux cousins Giorgos et Dimitris Sklavos, pêcheurs, partagent leur métier et passion avec les touristes en les emmenant pêcher au filet, l’une des plus anciennes activités humaine. Grâce à cette activité complémentaire, ils peuvent continuer à vivre de leur métier.
Bonnes tables
Parmi les belles découvertes gourmandes sur l’île, il y a le restaurant Familia à Fratsia. On y déguste les plats de Yiannis Voulgarakis, chef crétois à l’origine de plusieurs affaires à Athènes, dont le fameux bar Six Dogs. Il a posé ses valises à Cythère et a ouvert un restaurant gastronomique dans l’ancienne école du village. Sa cuisine met en avant des produits excellents que la sommelière accorde avec de bons vins, dont l’Arikaras un cépage endémique de l’île.
L’autre coup de cœur est la taverne familiale Skandeia à Paléopoli, tenue par Evanthia et Antonis et leur fils Stephanos. Sous les peupliers, on se régale d’une cuisine simple et délicieuse à l’image de cette île où il fait bon vivre.