Aux sources de l'Arcadie
À deux heures et demie d’Athènes l’Arcadie, se dévoile. Un road-trip au cœur de cette région méconnue et préservée du Péloponnèse. Entre montagnes, forêts et villages, mythologie et sites archéologiques, randonnées et belles adresses, suivez le guide !
À deux heures et demie d’Athènes l’Arcadie, région reculée du centre du Péloponnèse, se dévoile enfin. Une forêt de sapins qui s’étend à perte de vue et habille le mont Mainalon d’un épais manteau vert succède à la vaste plainte de Mantinée. Ce paysage sublime tout en montagne et en forêt semble bien éloigné des clairières champêtres peuplées des nymphes et de bergers que l’on se représente à la simple évocation de l’Arcadie. Cet imaginaire hérité de la poésie de Virgile et de la peinture classique de Nicolas Poussin avec ses Bergers d’Arcadie paraît s’opposer à cette première expérience sensible des paysages arcadiens. « Arcadie mot chargé d’un message trompeur, d’images mensongères. ». Avec sa verve et son franc-parler, Jacques Lacarrière, érudit et voyageur amoureux de la Grèce, fit lui aussi l’expérience de ce hiatus. Et de poursuivre : « D’où vient cette légende ? De ce XVIIe siècle qui éprouvera le vieux besoin de créer, dans les fastes de l’ennui de Versailles, le rêve d’une nature domestiquée par l’homme (…). » Chemin faisant, un autre imaginaire plus complexe viendra se substituer à ce monde idéal. Pan, Zeus et Apollon seront donc mes nouveaux guides pour découvrir l’Arcadie.
Pan
Dans la mythologie, l’Arcadie est la demeure du dieu Pan. Né sur le mont Cyllène, aux frontières nord de l’Arcadie, ce dieu mi-homme mi-bouc est une divinité protectrice des bergers et des troupeaux qui enchante les épaisses forêts de sa flûte mélodieuse. Au détour d’une piste sillonnant les flancs du mont Mainalon, un petit troupeau de chèvres gracieuses prennent l’ombre sur la route. Une douce mélopée s’élève de cet attroupement aux couleurs bigarrées, le tintement rythmé de leurs clochettes semble guidé par la main du dieu musicien. Toute à ma contemplation, je m’étonne à peine de ne pas croiser de berger et me laisse envoûter par ce moment hors du temps. Désorientée, il faudra l’aide d’une carte pour quitter la forêt et retrouver la route de Vytina. Vytina, Langadia, Zatouna, Dimitsena, Valtseniko, Stemnitsa, Andritsena… Tous ces toponymes témoignent de la présence dans le Péloponnèse de peuples slaves arrivés entre le VIe et le VIIe siècle pour cultiver la terre et élever du bétail. La place de Vytina est agréable en ce début d’automne, comme ce café fumant accompagné de petits gâteaux achetés dans la boulangerie voisine figée dans le temps. Le village acadien se dévoile dans toute son austérité minérale, ruelles pavées, maisons de pierre grise aux murs épais et de toit en tuiles rouges. Simple et rurale, l’Arcadie garde un petit côté vieille Grèce. Si Vytina est un village vivant, certains peinent à compter plus de quelques habitants. À Lasta, le kafeneio se trouve dans l’ancienne école du village et l’on s’y sert seul puisque personne n’y travaille. En partant, on met la pièce dans une tirelire et l’on éteint la lumière. Magouliana, le village d’à côté, est plus chanceux avec sa délicieuse taverne « Tou Iosif » où l’un se régale d’une cuisine généreuse et de savoureux steaks hachés de sanglier. Le propriétaire de la taverne est également chauffeur de taxi, une association bien pratique pour les clients randonneurs fatigués ou surpris par la pluie. Non loin de là, Stratis Batagias, qui enfant passait toutes ses vacances à arpenter les forêts du Mainalon, a acquis puis restauré un ancien sanatorium pour le transformer en hôtel. L’imposante façade de pierre grise avec ses hautes fenêtres a ainsi retrouvé toute sa majesté. Le Manna apparaît au détour d’un virage, avec son air autrichien, il pourrait servir de décor à un film de Wes Anderson. Le séjour au Manna est délicieux, fait de contemplation, de cocooning au chaud sous la couette et de dégustation de plats imaginés par le chef Athinagoras Kostakos. Au pied de l’hôtel, passe l’un des nombreux sentiers qui parcourent la région. J’emprunte l’un d’eux aux environs d’Elati, il s’enfonce dans une forêt féerique au sol couvert de mousse et d’humus. Où que le regard porte, les champignons abondent : sanguins, russules, pézizes orangées… Aussitôt cueillis, aussitôt dégustés, simplement sautés avec de l’ail avec un filet d’huile d’olive. Un régal ! En poursuivant vers l’ouest, à l’approche du lac artificiel du Ladonas, le paysage devient plus doux. En amont, les méandres de la rivière serpentent entre les hautes herbes, les champs et les vergers ; en aval, elles se jettent dans l’Alphée. C’est traversant le Ladonas que le héros divinisé Héraclès captura la biche de Cérynie réalisant ainsi le troisième de ses douze travaux. Le soir, entre chien et loup, les clochettes des chèvres de Pan tintent toujours dans le lointain, bientôt, elles se feront plus discrètes avant de se taire dans la nuit étoilée.
Zeus
Nous retrouverons les chèvres au petit matin paissant paisiblement au sommet du mont Lykaion, ou mont Lycée. Cette montagne pelée, à l’ouest de l’Arcadie, accueillait autrefois un sanctuaire dédié à Zeus où l’on célébrait Zeus Lykaion datant de l’époque mycénienne (XVIe siècle avant J.-C). Ce culte et cette montagne sont associés à différents mythes diamétralement opposés, l’un associé à la lumière, liki signifiant lumière en grec ancien qui trouverait son origine dans un texte sacré de l’Inde antique ; l’autre associé à la lycanthropie, aux rites de passage et aux sacrifices humains. On sait, par contre, qu’à l’époque mycénienne, il existait un culte des sommets associé à Zeus en différents lieux de Grèce. Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de l’autel composé d’un simple amas de cendres encerclé de pierres. En contrebas, dominant la plaine de Megalopolis, là où Zeus aurait défait les Géants, créant d’immenses mines de lignite, on peut encore admirer le stade dans lequel étaient organisés les jeux Lycéens. L’importance du mont Lycée, appelé l’Olympe d’Arcadie, est renforcée par la légende selon laquelle Zeus y serait né et aurait été choyé par les nymphes Neda, Thisoa et Hagno, toutes associées à des rivières locales. Fleuves et rivières sont souvent personnifiés, sacrés en Grèce et tiennent une place centrale dans la mythologie. Il en est ainsi du Loussios dont les eaux glacées traversent l’Arcadie du nord au sud. Il tiendrait son nom du verbe lousso, laver, baigner, car selon Pausanias, Zeus y aurait été baigné après sa naissance. Sous le petit pont qui mène au site archéologique de Gortyne, des enfants hilares tentent d’entrer dans l’eau qui peine à atteindre les 10°C. Terre de randonnées, les rives de l’Arcadie sont une succession de sous-bois, de gorges, de sites archéologiques et de monastères suspendus. Depuis l’ancienne Gortyne, un sentier remonte le cours de la rivière et mène à l’impressionnant monastère de Prodromos qui se trouve sur l’autre rive. Littéralement accroché à la montagne, il fut construit au XVIe siècle et est encore habité par quelques moines. De là, on peut atteindre le monastère de Philosophou fondé au Xᵉ siècle et réputé comme le plus vieux de la région. Si l’ancien monastère tombe en ruine et a été fermé au public, le nouveau se visite … et se mérite ! Après une fin de marche éprouvante, car très pentue, l’ombre du mûrier et le verre d’eau glacée offert par les moines sont des plus agréables. De part et d’autre du Loussios se trouvent également deux beaux villages. Stemnitsa, superbe village, où en ce début d’automne il y a encore un peu d’activité. Avec ses maisons cossues, son école d’orfèvrerie et ses quelques commerces, il vit surtout à la belle saison où les Grecs aiment à y passer le week-end. Quelques ravissants hébergements ont aussi ouvert récemment tel Theta, un ancien cellier construit en 1867 puis restauré par la talentueuse Sofia Varouxi et transformé en appartement de charme. De l’autre côté du Loussios, le petit village de Markos pourrait quant à lui presque passer inaperçu. Tout simple avec sa délicieuse avec sa taverne Allothi, son église et ses habitants d’une gentillesse infinie, il vaut le détour. Surplombant la vallée, Markos s’ouvre sur un superbe panorama et, par-delà les montagnes, sur la Messénie et la Laconie toutes proches.
Apollon
Depuis le mont Lycée, en regardant vers l’ouest, se dessine la silhouette majestueuse du mont Kotylon. Admirant l’harmonie de ce paysage, mon œil accroche sur une tache blanche aux allures de petite chenille blanche posée au milieu de nulle part. En y regardant de plus près, on devine de l’immense vélum qui protège depuis les années 1990 le temple de Bassae des rigueurs de l’hiver et de la chaleur intense de l’été. Construit au Vᵉ siècle avant notre ère, ce temple est l’un des plus remarquables de son temps. Commandité par les habitants de la ville voisine de Phigalie, il est dédié à Apollon Epikourios, le secourable, qui aurait aidé les Arcadiens dans leur rivalité contre Sparte et les aurait protégés de la peste. L’identité de son créateur reste un mystère… Si Pausanias suggère qu’il s’agit d’Iktinos, l’un des deux architectes du Parthénon, la recherche remet en cause cette hypothèse. Premier site grec à être répertorié sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1986, le temple de Bassae est unique. L’austérité de sa colonnade de calcaire gris n’a d’égal que la finesse de ses ornements intérieurs. Malheureusement, on ne peut plus admirer in situ ses superbes frises figurant les combats des Grecs contre les Centaures et les contre Amazones, car elles furent vendues à l’Angleterre au XIXe siècle. Aujourd’hui, elles sont exposées au British Museum, comme celles du Parthénon. Autre particularité, c’est à Bassae que fut découverte la plus ancienne colonne surmontée d’un chapiteau corinthien, faisant de ce temple l’un des rares monuments où sont représentés ensemble les trois ordres antiques (dorique, ionique et corinthien). En déambulant sur le sanctuaire, on imagine aisément la surprise et la fascination de l’architecte français Joachim Bocher lorsqu’en 1765, il découvrit ce site oublié des hommes depuis 17 siècles ! Le second voyage qu’il fit à Bassae lui fut fatal. Tombé dans une embuscade, il fut assassiné par des kleftes, des bandits de grand chemin à l’époque ottomane. Non loin de Bassae, aux environs de Phigalie, la rivière Neda forme deux imposantes chutes vrombissantes apparaissent comme par enchantement au détour d’un sous-bois. Devant la seconde un petit lac s’est formé, impossible de résister à la baignade. Non loin de là, Andritsena, fut un bourg prospère. En ce vendredi, jour de marché, tous les habitants sont de sortie et les terrasses des cafés sont pleines à craquer. Ambulant, le marché aura lieu demain à Olympie. Andritsena cache un autre trésor, sa bibliothèque abrite l’une des plus incroyables collections de livres rares du pays. En 1838, Konstantinos Nikolopoulos, un Grec d’Asie Mineure, érudit et bibliophile vivant à Paris, offrit village de son père près de 4 000 ouvrages. D’Andritsena, j’emprunterai le sentier qui rejoint le petit village d’Ambeliona idéalement situé pour explorer la région à pied. Baigné de nature, Ambeliona Retreat est un havre de paix où le temps s’écoule doucement, rythmé par la découverte des sentiers de l’Apollo Trail. Sur la route du retour, ivre de cette nature sauvage et riche de nouvel imaginaire, à l’aube de nouvelles aventures grecque, je me dis, heureuse, « Et in Arcadia ego » !