La Crète en mode slow
Isolée entre l'Europe et l'Afrique, avec une géographie montagneuse et un climat méditerranéen, la Crète est d'une richesse naturelle extraordinaire. On y compterait entre 1600 et 1700 espèces, dont 10 % endémiques. Ces dernières années, de nombreuses initiatives d'agritourisme ont vu le jour à travers l'île, preuve d'un regain d'intérêt pour un tourisme valorisant le terroire, le plus durable et respectueux de l'environnement.
La Crète a longtemps été cantonnée à une destination soleil peu onéreuse, attirant un tourisme de masse dans d'énormes hôtels qui ont défiguré une partie du littoral. Mais la plus grande île de Grèce regorge de lieux plus confidentiels et ancrés dans un terroir à la richesse extraordinaire.
Les écovillages, pionniers de l'agritourisme
En Grèce, la Crète fait figure de pionnière en matière d'agritourisme. Très tôt, une poignée de visionnaires a eu envie de valoriser d'anciens hameaux abandonnés et éloignés du littoral, pour donner à voir un autre visage de la Crète. Parmi ces précurseurs, Milia à l’ouest de l'île et Aspros Potamos au sud-est, ont été restaurés il y a près de 30 et 40 ans. Avec pas ou peu d’électricité, ces maisons de village allient charme et rusticité. Parfaitement intégrées dans leur paysage, elles racontent une histoire d’un autre temps.
Au milieu d’une forêt épaisse de châtaigniers, Milia était autrefois un minuscule village habité quelques mois par an, le temps du ramassage des châtaignes. Petit à petit, le hameau délaissé - qui offrit une cache naturelle aux habitants de la région pendant la Seconde Guerre mondiale - a été repris par la belle-famille de Tassos Gourgouras. Sur son lit de mort, la matriarche a fait promettre à ses enfants de ne jamais vendre les terrains et de redonner vie à ce petit bout de Crète. Patiemment, ils ont racheté les quelques terres qui n’étaient pas les leurs, clôturé pour éviter le surpâturage, entretenu la forêt et reconstruit le village. Milia est ainsi devenu une maison d’hôtes et un modèle pour nombre d’hôteliers. C'est également un délicieux restaurant qui propose une cuisine fine, crétoise et de saison. Tous les matins, le grand four à bois cuit le pain, et les produits utilisés en cuisine sont tous issus de circuits courts et de petits producteurs locaux. Afin de faire découvrir sa région, Tassos organise pour ses clients des balades en forêt, des rencontres avec Antonis Papagiannakis, le joyeux apiculteur de Melipap, ou encore une visite guidée chez Chloé Dimitriadis de Biolea, productrice d'huile d'olive bio.
À l'opposé de l'île, non loin de Makrys Gialos dans la région de Pefki, les 10 maisons de pierre qui composent le mini-village d'Aspros Potamos ont près de 300 ans ! Elles auraient été abandonnées à cause des raids incessants des pirates dans la région. Acheté puis restauré par une ancienne journaliste la maison d'hôtes est aujourd'hui gérée par sa fille, Myrto Botzaris. Niché dans une vallée couverte de pins, d'oliviers et de citronniers, Aspros Potamos se fond dans son environnement et est autonome en énergie. Quelques panneaux solaires chauffent l'eau, l'éclairage se fait principalement à la lampe à huile ou à la bougie, et les matériaux simples et bruts habillent les intérieurs. La déconnexion est totale.
Des vacances à la ferme
Séjourner à la ferme, ou simplement la visiter, est une autre façon de découvrir la Crète rurale et agricole. Loin des sentiers battus, trois adresses appréciées des familles offrent la possibilité d'approcher la richesse du terroir. Methodi Kindelis est une belle demeure patricienne construite au XVIIe siècle non loin de La Canée par les Vénitiens. Transformée en ferme par les Ottomans, elle est toujours exploitée par ses propriétaires qui y ont également ouvert une maison d'hôtes dans l'ancien pressoir à huile. Cueillette, fabrication de pain, dégustation de vin et visite du vignobles, comme celui de Manousakis, font partie de la liste des réjouissances. Grâce au microclimat propre à la région, la ferme produit des fruits et légumes bio que les hôtes peuvent récolter dans une serre pour les argumes, mais aussi dans un jardin aromatique où les espèces tropicales sont acclimatées, les fraises sont ramassées au champ et les légumes dans un potager luxuriant. La production qui n'est pas dégustée sur place est vendue à des coopératives agricoles locales.
Plus à l'est, dans la région de Réthymnon, Vassilis Petrodaskalakis cultive avec science et passion un immense jardin de 10 ha. Il y a 15 ans, pour partager cette vocation, il créé Dalabelos : un restaurant et une maison d'hôtes. Ses produits, ultrafrais et goûteux, composent un menu qui varie au gré des saisons et des récoltes. Manger dans son restaurant est la garantie d'un bonheur simple : déguster une salade aux mille-et-un parfums et (re)découvrir le goût délicieux d’une tomate parfumée à la marjolaine. Vassilis emmène régulièrement ses hôtes dans le jardin, il est intarrissable et la simple balade devient rapidement une leçon de choses passionnante. Le samedi, il se produit en concert et joue de différents instruments traditionnels, dont du tabouras, une sorte de mandoline a trois doubles cordes qu'il affectionne particulièrement. Assister à ce concert est un privilège et une expérience unique. Les sonorités et les rythmes parlent de cette Crète que l'on apprend à découvrir chaque jour un peu plus.
Sur les hauteurs d’Héraklion, Peskesi est une vaste ferme. Créée en 1993, elle accueille les visiteurs le temps d'une journée à la ferme. Les possibilités sont multiples, cueillir des fruits, des légumes ou des herbes endémiques, déguster de l’huile d’olive ou des vins locaux, mais aussi ramasser des escargots, ou encore visiter le poulailler. Les produits de la ferme seront cuisinés ensemble et dégustés sur l'agréable terrasse ombragée. La ferme alimente aussi en produits frais le restaurant gastronomique éponyme qui se trouve à Héraklion. On s’y régale de recettes millénaires et chaque jour, on peut y découvrir une nouvelle recette d’escargots, une spécialité crétoise.
Des resorts nouvelle génération
La valorisation du terroir, qui resta longtemps l'apanage des petites structures de l'intérieur des terres, intéresse dorénavant tous les acteurs du tourisme et notamment une nouvelle génération de d'hôtels resorts. Soucieux de renouveler leur offre, mais aussi de proposer une expérience de l’île plus ancrée dans le territoire, ils repensent et amendent leurs pratiques.
Agapi Sbokou, à la tête de plusieurs resorts dans l’île, a pris le minotaure par les cornes et entrepris, en 2018, la restauration complète d'un hôtel de 204 chambres. Aujourd'hui, le Cretan Malia Park est un modèle de reconversion. Niché dans un parc luxuriant, l'hôtel au très beau design s'ouvre sur la nature et s'engage dans une politique de maîtrise son impact sur l'environnement.
À son tour, son grand frère le Blue Palace (255 chambres) lui emboîte les pas et amorce sa transition. Soucieux de ne pas uniquement proposer les basiques du resort de luxe (plage privée, piscine et transats), l'hôtel valorise le terroir et la gastronomique crétoise, plante son potager et propose à ses clients une balade en caïque autour de l'îlot fortifié de Spinalonga, des dégustations de vins crétois, la visite du jardin et du laboratoire de cosmétiques naturels Bio Aroma, ou encore la visite de jolis petits villages à deux pas de l'hôtel.
Proximité
Nul besoin de courir les sites touristiques très fréquentés pour apprécier son séjour en Crète. S'il est vrai qu'Elafonissi et son sable rose, Balos et son air de lagon, Seitan Limani et son mini-fjord, sont des endroits superbes et très photogéniques. Ils sont devenus tellement fréquentés, que les locaux n'y vont même plus. Tout comme la palmeraie de Vaï - unique au monde avec la plus grande colonie de palmiers-dattiers phoenix theophrasti - ou les mythiques gorges de Samaria, ces lieux sont fragilisés par l'incessant va-et-vient de visiteurs. Et au-delà de sites vantés sur les réseaux sociaux, il existe d'autres lieux à découvrir, moins connus et tout aussi beaux, comme les gorges de Lissos au sud-ouest ou celles de Sarakinas au sud-est l'île.
C'est loin des sentiers battus que l'on comprend le mieux cette île et que l'on fait les plus belles rencontres. Comme Kostis Theodorakis, créateur de Cretan Aroma, un jardin potager perdu à Agios Vassilios ; ou encore Dimitris Malandrenis, chef de Matzenta kuzina del sol, l'un des meilleurs restaurants de l'île à La Canée qui hybride gastronomie crétoise et mexicaine. Un voyage en Crète prend du temps tant l'île est immense et il faut parfois savoir se perdre pour l'apprécier à sa juste valeur. Un éloge du temps long et d'un tourisme en mode slow.